UNE LUCIDITÉ VIRILE
On sait que depuis de longues années, quelques amateurs tenaces, tous collaborateurs ou sympathisants de cette revue, affirment que Raoul Walsh, vieux cinéaste chargé d’oeuvres, est l’un des principaux créateurs d’un art dont la nouveauté ne favorise pas l’entendement. Il faut, pour comprendre les raisons d’un tel jugement, avoir vu avec les yeux à la fois de la plus grande exigence et de la plus grande simplicité des films comme Gentleman Jim, Colorado Territory, Pursued ou Les nus et les morts, qui ne constituent rien d’autre que l’exercise de la noblesse et du naturel, ce « rien d’autre » représentant la forme la plus haute de l’ambition d’un artiste. Si l’accord d’un geste et d’un espace est la solution et la conquête de tout problème et de tout désir, la mise en scène sera une tension vers cet accord, ou son immédiate expression. L’art est une conquête de soi-même d’abord, du monde si possible; de là trois conditions nécessaires: une méthode rigoureuse, un orgueil sans lequel rien de vaste n’est conçu ni tenté, et un grand respect du vrai. Que l’une de ces trois conditions fasse défaut, et l’oeuvre manquera de l’équilibre indispensable à sa fonction et à son efficacité.
De la production immense et inégale de Walsh un certain nombre de films se détachent, qui répondent à ces idées et même les provoquent. Son respect de la réalité, le cinéaste l’a défini en posant le principe qu’il n’y a qu’une façon de mettre en scène un personnage donné dans une situation donnée. Cela revient à dire que l’organisation idéale de la matière visible et sonore en fonction des prémisses librement établies du scénario, possèderaif un caractère de nécessité insurmontable analogue à l’ébullition de l’eau à cent degrés. On conçoit que la reconnaissance, la découverte de cette solidité des phénomènes au sein de sa propre création, exige de l’artiste la liberté et la clarté d’esprit les plus totales: les chances d’erreur, en regard de l’unique vérité, sont infinies. L’orgueil est dans la recherche de cette vérité, mais c’est l’humilité qui la trouve. Se faire toute transparence, regarde pur, poreux aux phénomènes, est la sagesse du classicisme et le secret d’une jeunesse inaltérée.
Quant à la méthode, elle est simple; encore faut-il s’y tenir. Ne montrer d’une chaîne d’événements que l’indispensable à son déroulement et sa compréhension; le montrer de la façon la plus directe; toujours rester lié au centre. Construire, en d’autres termes, une architecture dont la beauté globale naisse de l’exactitude du rôle attribué à ses parties.
L’art de Walsh est classique en ce qu’il manifeste et impose, au delà de toute crispation, la vertu d’une impassibilité souveraine invisiblement attachée aux réflexes de l’élégance, de la race, de la noblesse physique et morale. La lucidité virile de son propos n’est pas du ressort des conformismes démagogiques, mais d’une continuité autrement profonde de l’aristocratie du coeur.
(Présence du Cinéma n° 13, mai 1962, p. 3)
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