PSYCHOSE, Gus Van Sant, 1998
par Jean-Claude Brisseau


1.

Pour les cinéphiles, le remake de Psychose réalisé par Gus Van Sant est une mine d’or, bien que ce soit un mauvais film, ou justement à cause de cela. C’est la première fois dans l’histoire du cinéma qu’un film reprend à quatre-vingt-dix pour cent l’original, avec les mêmes plans, les mêmes dialogues, la même musique. Mais l’un a une force saisissante, et l’autre est à peu près une nullité. Moi qui pensais que seuls les questions de construction et de mise en scène comptaient, j’ai découvert en comparant Psychose et sa copie que le casting et la manière de diriger les acteurs étaient d’une importance cruciale. Si vous vous trompez dans ce domaine, le film tombe. Même des éléments qui semblent de l’ordre du détail, comme la vitesse d’un mouvement de caméra ou la qualité du mixage de la musique, ont un rôle essentiel. Pour le Psychose de Gus Van Sant, la musique a été mixée de manière ronde, moderne, avec la stéréo, alors que dans le film de Hitchcock, la musique avait été mixée dans une tonalité grinçante, pas déplaisante à l’oreille mais inquiétante. Ça change tout. Une scène filmée exactement de la même façon s’effondre avec la musique mixée pour le film de Gus Van Sant. Ça me rappelle la formule de Melville, à qui on avait demandé ce qui était le plus important dans un film. Il avait répondu: le casting à cinquante pour cent, le scénario à cinquante pour cent, le mixage à cinquante pour cent, le montage à cinquante pour cent, voulant dire que si un seul de ces éléments était défaillant, tout le reste était perdu. Tous les apprentis cinéastes devraient étudier les différences entre ces deux Psychose, qui sont à la fois criantes et subtiles. Les grands films ne sont pas des modèles qu’on peut suivre, ou reproduire.

2.

L’équilibrage d’un film est toujours quelque chose d’assez délicat. C’est pour ça que j’essaie de préparer tout à l’avance très minutieusement, sur le choix des comédiens et des décors, sur toutes les séquences du film. Si mes films étaient plus simples, s’ils étaient construits sur moins de tonalités différentes, je me soucierais moins de tous les détails. Mais l’équilibre de mes films tient à des détails, c’est une affaire de cuisine qui résulte d’un dosage précis, pour que la sauce prenne. De ce point de vue, le remake de Psychose par Gus Van Sant est une mine d’or cinéphilique. Moi, j’ai appris le cinéma en regardant Psychose d’Hitchcock une centaine de fois. Voilà pour la première fois un film qui est à 95% le remake d’un autre: comment se fait-il que l’un soit fort et l’autre pas? Alors que la construction est exactement la même. Tout tient d’abord au choix des comédiens: Anne Heche joue moderne, genre “Je n’en ai rien à secouer de voler.” Résultat, on s’en fout, aucune identification, aucun intérêt pour elle. Pareil pour Julianne Moore avec son sac à dos et Viggo Mortensen, rien à secouer de ces gens! L’autre erreur absolue étant de montrer Norman Bates en train de se masturber, il n’a donc plus aucune raison de la tuer, le symbole phallique du couteau n’a plus de raison d’être, c’est d’une connerie totale! Toutes ces petites choses-là amènent une rupture dans la fascination, ce qui prouve que la réussite d’un film ne tient qu’à des détails, qu’un ingrédient loupé ou mal dosé peut faire tomber un film. Et que la perfection de la construction ne suffit même pas. Le casting est tout aussi essentiel: La mort aux trousses ne peut pas fonctionner si on remplace Cary Grant par James Stewart ou Woody Allen; il n’y a plus de film! Et plus vous naviguez dans l’émotion ou la fascination, ou l’érotisme, plus les éléments sont durs à manier.

 

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