WE OWN THE NIGHT
par Jacques Vallée
Au cours de la guerre entre le NYPD et la mafia russe dans les années 80, un gérant de boîte de nuits est sommé de choisir son camp par son père et son frère policiers.
Il est difficile de gloser sur un film à la forme aussi limpide. Ce qui frappe en effet dans La nuit nous appartient, c’est la maîtrise totale du réalisateur, l’absence complète d’incertitude de la mise en scène. Cette maîtrise n’a rien à voir avec une quelconque vanité formaliste façon Kubrick puisqu’elle est tout entière au service du récit. James Gray est en effet, avec les génies de Pixar, le meilleur raconteur d’histoires du cinéma contemporain. Dès les premiers plans, il happe le spectateur pour ne plus le lâcher jusqu’au dénouement, alternant avec une égale intensité confrontations familiales sous haute tension et séquences d’action époustouflantes. A t-on vu, au cours de la décennie passée, suspense plus palpitant que le passage dans le laboratoire clandestin? Pas à ma connaissance.
Quel est donc, outre son remarquable savoir-faire, le secret de James Gray? C’est peut-être la foi dans ce qu’il raconte qui le distingue de ses collègues. Certes, comme tous les jeunes cinéastes d’aujourd’hui, James Gray est d’abord un cinéphile bardé de références (essentiellement Visconti et Coppola en ce qui le concerne). Cependant, à la différence d’un Tarantino, il ne considère pas l’histoire du cinéma comme un terrain de jeu mais comme un réservoir d’enseignements pouvant servir ses projets personnels. Grâce aux films de Visconti, il a par exemple compris que la représentation de rituels était un moyen efficace et souvent fascinant de condenser ce qui se trame au sein d’une communauté. Mais il ne va pas pour autant s’amuser à plaquer la musique du Guépard sur ses images du New-York des années 80 (ce que ferait un Tarantino pour montrer au monde entier combien il kiffe Visconti). C’est que Gray a grandi dans ce New-York des années 80, il est sorti dans les clubs qu’il montre. La bande-son qui comprend des chansons de Blondie, de David Bowie et du Clash n’est pas là pour faire cool mais simplement parce que c’était cette musique qui passait dans ces endroits à ce moment-là. Bref, la reconstitution historique (le New-York des années 80 était très différent du New-York post-Giuliani) permet à l’auteur d’ancrer sa tragédie dans un environnement qu’il connaît intimement. Ils sont rarissimes aujourd’hui, les films de genre mis en scène avec une telle absence de distance, un tel premier degré. Cela permet à James Gray de donner une consistance profonde au traitement de thématiques éternelles telles que la loi, l’ordre, la famille, la volonté individuelle, le fatum. Cette mise en scène calculée de A à Z qui refuse l’humour, la digression et la rupture de ton pourrait vite devenir asphyxiante par excès de solennité mais elle convient parfaitement à un polar qui se veut, et qui est, tragique. D’ailleurs, ce sont peut-être les limites du cinéma de Gray. Ce metteur en scène peut-il réussir autre chose que des tragédies? Le relatif échec de Two Lovers où pour la première fois il sortait du polar montre que pour l’instant, le cinéaste est plus à l’aise avec un scénario implacable.
Un mot enfin sur la polémique ridicule qui a agité le landerneau de la cinéphilie française à la sortie du film. La nuit nous appartient s’est vu taxé de “réactionnaire”, anathème ultime pour certains critiques qui n’aiment rien tant que jouer les commissaires politiques aux petits pieds. Pensez donc! Un film où le héros rejoint la police plutôt que les trafiquants de drogue! N’est-ce pas “idéologiquement douteux”? C’est à se demander si ces braves gens savent se servir de leurs yeux. Ont-il vu l’ouverture où la somptueuse Eva Mendes se touche avec “Heart of glass” en fond sonore? Je veux dire: comment un cinéaste peut-il filmer une telle scène avec une telle gourmandise tout en condamnant sans appel la fête et le stupre?
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