CITTÀ VIOLENTA
par Vincent Zeis
Le récit, souterrain complexe et magnifique, est constitué de développements secrets organisant le dévoilement des ramifications de l’intrigue et du passé des personnages. La fragmentation narrative évoque un mobile avec différentes facettes narratives et visuelles, en équilibre précaire, tenant en quelque sorte par la seule force d’un mouvement tragique emportant tout le film jusqu’à son dénouement.
Le luxe de détails des comportements méthodiques de Bronson, des costumes et des décors exacerbe la lutte du héros pour tenter d’échapper à la spirale de corruption que fut sa vie. La fin nihiliste et pleine de désillusion est pourtant une sortie de tous les rapports toxiques : sentimentaux, amicaux, professionnels, économiques et moraux. L’organisme du film, sa matière vivante de scènes et de plans, reflète la conscience fragmentée et souffrante de Bronson. Mais peu à peu les voitures redémarrent, les voiles se lèvent sur les coupables derrière les coupables telle Jill Ireland dans la piscine cachée de Telly Savalas. L’action peut se poser progressivement. Tout le monde peut y voir plus clair. La conscience endolorie du héros est recomposée dans le mouvement des sauts d’un lieu à l’autre et d’un coupable occulte à l’autre. Ce mouvement est permis par l’action à la fois des personnages et de Sollima qui reconnecte les fragments du monde vers sa totalité qui est d’abord devinée avant d’être pleinement perçue. Par exemple, les premières scènes déccrochent des plans de Jill Ireland et des voitures par rapports à la globalité des Caraïbes. Plus tard, Bronson et le spectateur ont une vision partielle et lointaine de la réalité de la course automobile. Mais plus le film avance plus Sollima reconnecte le monde avec sa perception. Le montage se fait moins heurté. Les mouvements épousent plus harmonieusement la largeur du cadre.
Pourtant la présence englobante du monde ne cesse jamais d’être tragique.
La violence des rapports sexuels et de pouvoirs est à son apogée à la fin. Le monde ne cesse jamais d’être indifférent : les fleurs exotiques, les bolides de la course, les jungles de Louisiane et les villes tentaculaires. Il n’y a pas Miles Davis mais avec Morricone et Bronson c’est tout de même Birth of the Cool. Les personnages passent à un apaisement contemplatif qui finit par être celui de la mort. En fin de compte c’est un sort moralement plus digne que les perpétuels cycles de la violence diffuse de la ville, des hommes et des femmes, du monde entier.
P.S. : si besoin est de rapprocher Città violenta d’autres films on pensera à Melville mais moins pour la conscience de guerrier blessé du héros que pour la splendeur de la recréation européenne de l’Amérique dans L’aîné des Ferchaux. Pourtant c’est Michael Mann qui vient à l’esprit pour le paradis impossible et la probité douloureuse du héros dans Thief et pour le mélange d’inquiétude et d’exaltation harmonieuse au sein de la magnificence grondante du monde dans Blackhat. Importance des particules matérielles qui rendent sensible à toutes les dimensions, à tous les détails des plans et de qui permettent une répercussion du poids de la tragédie sur chaque élément du trajet des personnages.

REVOLVER
par Vincent Zeis
L’histoire semble d’abord anodine avec son enlèvement et son enquête. Elle est pleine d’échanges de prisonniers et de flics énervés. Mais d’emblée le lyrisme de l’ouverture laisse voir de quel bois se chauffe le film. Et ensuite la froideur inhabituelle de Milan et de Paris met sur la piste quant à la nature profondément originale et radicale du film. Le récit relate les tourments des adversaires naturels et des alliés de circonstance qui échappent avec pertes et fracas à la corruption générale qui laisse toujours voir des coupables derrière les coupables. La longue coulée du récit épouse celle de la fuite cahotique. Le film a une dimension à la fois réduite, serrée et rapide avec son ouverture dans le noir, ses plans tremblants dans la voiture, son brouillard épais, ses cellules, sa photographie sombre et ses cadrages souvent rapprochés. Pourtant la fermeture est aussi renversée en ouverture avec la largeur des plans généraux comme lors du passage de la frontière dans la montagne.
Justice et culpabilité sont pareillement relatives. La délivrance se fait au prix du retournement du policier en criminel. L’horreur du « sans issue » et de la destruction du Bien est totale. Car c’est un film sur les épreuves et le questionnement de la morale. Ainsi Fabio Testi est l’homme naturel. Il doit bouger sans cesse. Son curseur moral est une girouette. Sa pureté d’animal sauvage en cage puis tenu en laisse est confronté à celle du catholique énervé Oliver Reed qui se bat contre des moulins et contre sa conscience par exemple après le sacrifice de son fidele le gardien de prison. La perte de sa femme (Agostina Belli – mariale) amène Reed à des pics de violence : il lance une veste ou brandit un revolver. Le froid est une calamité et les morts sont tous difficiles à enterrer : l’industriel assassinné, l’ami braqueur de l’ouverture... Les mouvements de caméra arpentent les lieux et les visages pour y retrouver une innocence perdue ou impossible, ce qu’évoque aussi la musique de Morricone.
Le film fonctionne avec une ironie terrible sur l’amitié trahie et retournée en exécution forcée. Le Mal peut s’identifier à la raison d’Etat qui coïncide avec la Liberté et le Bien à la fin de façon terrible et déchirante mais aussi annoncée par le poème Liberté d’Éluard dont le film entier illustre pleinement les caractéristiques à la fois de militantisme, de pugnacité et de résignation. Les vers « Sur les sueurs de l’orage » et « Sur la solitude nue » sont particulièrement proches du climat visuel et de la tonalité du film. L’inscription du poème au tableau noir redoublant le premier vers du poème (« Sur mes cahiers d’écolier ») et en négatif par le rêve illusoire de libération politique avec la passeuse révolutionnnaire. La valeur poétique de la désillusion politique est en rapport direct avec le jeu poétique et le personnage à l’avenant de Fabio Testi, toujours une idée de l’homme libre et innocent en même temps qu’un homme traqué et fragile.
La lucidité à l’oeuvre dans tout le film est d’un pessimisme critique constant : la pop star tuée avec de la drogue et spécialiste de la traite des blanches à l’opposé de sa chanson sirupeuse mais poignante par rapport au sujet du film, la police française robotique, l’enfer vétuste de la prison, les méchants cachés derrière les prolétaires siciliens du crime, les difficultés à faire vivre sa famille du prisonnier devenu fou... Le pessimisme critique a une dimension politique qu’il est posible de rapprocher de celle d’un Francesco Rosi dans la même période du cinéma italien. Ce pessimisme est marqué par une noirceur d’abord visuelle dans un film presque contemporain de Revolver comme Uomini contro à propos de la mort permanente sur les champs de bataille encombrés avec des objecteurs de concience amers comme Alain Cuny rejoignant le personnage de Fabio Testi mais sans la dimension ironique et la liberté de pensée par rapport aux impératifs du P.C.I. présente dans Revolver.
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