THE VIKINGS
Après tant de films barbares sur les civilisés, voici donc un film civilisé sur les barbares. Considérablement supérieur à Bandido Caballero ou aux Inconnus dans la ville, The Vikings confirme le talent de Richard Fleischer et révèle de surcroît chez celui-ci une acuité de vision dont on ne trouverait guère les prémices dans ses réalisations antérieures. Le regard qu’il porte aujourd’hui sur ses acteurs et sur le décor de leurs ébats fait regretter qu’il se satisfasse trop souvent de tempéraments superficiels. Kirk Douglas, Tony Curtis sont de bien faciles réponses à Janet Leigh, créature dont la rareté n’a pas échappé au metteur en scène. Sans toujours l’élever à la puissance de ses possibles, sa compréhension et son tact permettent à Fleischer de ne pas la réduire non plus, comme récemment Welles et Sternberg, à un schéma. Janet Leigh comme Jean Seberg, et à la différence de Bella Darvi – pour ne citer que les plus brûlantes – requiert de toute évidence la collaboration assidue d’un metteur en scène suffisamment sensible à ses ressources. Louons Fleischer d’une tendresse qui n’est pas loin de le conduire au cœur de sa belle héroïne. Combien auraient montré autant de délicatesse dans le passage de la pudeur au désir ? La connaissance intime des gestes à suggérer, une certaine proximité de la rougeur des filles et des pâleurs de la haine et de la mort font accéder Fleischer, en ses meilleurs moments, à cette profondeur de l’épiderme qui est l’objet de toute mise en scène consciente. Donnant aux problèmes posés la solution la plus rapide et la plus franche, celle-ci est ménée sur un rythme aéré, souple, efficace, à peine entravé parfois de quelques longueurs. (Je songe aux préparatifs de l’attaque, par exemple.) L’intervention de leitmotive (la pythie interrogeant les osselets ; la sonnerie de trompe à l’arrivée des chefs ; les navigations dans la brume ; etc.) contribue à sa structure musicale, par la recherche d’une unité conférant aux arts inscrits dans la durée, outre une symétrie d’architecture, une sorte d’épaisseur temporelle qui les retient de se dissoudre. Cette histoire « héroïque et brutale » nous propose le contraste et l’alliance de l’élégance morale avec les farouches lois primitives au sein d’un monde empli de dieux complices, manifestation d’une harmonie retrouvée ou s’accordent les désirs et les nécessités. Propos séduisant qui suscite des images précieuses, des couleurs concertées sans être fausses, des personnages dont la passion, la force et la noblesse exaucent notre vœu. Par des afflux de violence encerclant des oasis de calme, The Vikings esquisse, définit le génie qui eût été indispensable à sa parfaite exécution. Il ne faut pas exiger davantage de Fleischer. Apprécions qu’il ait indiqué les voies par où un cinéaste plus doué aurait poussé à leur limite et leur aboutissement les possibilités latentes de son film.
Michel MOURLET
(« Un an de cinéma américain », Études cinématographiques n° 2, Été 1960, pp. 189-197. Republié dans La mise en scène comme langage. Paris : Éditions Henri Veyrier, 1987, pp. 204-205) |
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