CHILD OF DIVORCE
par Jacques Lourcelles



Premier film de Richard Fleischer. C’est déjà un chef-d’oeuvre. Parce que.le film se situe en dehors des genres traditionnels (ce n’est surtout pas un mélodrame), on peut y voir à nu le talent de Fleischer : celui d’un analyste des relations sociales pour qui réalisme est toujours synonyme de cruauté. Fleischer analyse ici cette situation particulière de certains enfants du divorce qui, loin d’être réclamés à toute force par l’un ou l’autre parent, sont rejetés par les deux. Ce rejet s’effectue en douceur, avec une bonne dose de gêne et d’hypocrisie que Fleischer examine sans complaisance mais aussi sans pitié. Un grand nombre de scènes montre les enfants entre eux, c’est-à-dire au coeur même de la vérité et de la dureté de leur situation. Le rejet dont ils sont victimes les place dans une solitude qui leur donne parfois une maturité prématurée (à cet égard la dernière scène est géniale). La mise en scène de Fleischer est aiguë, précise, sans fioritures ; les dialogues de Lillie Hayward d’une justesse et d’un modernisme étonnants.


(Dictionnaire du cinéma : Les films, pp. 280-281. Paris : Laffont, 1992)


L’ASSASSIN SANS VISAGE
par Jacques Lourcelles



Film policier des débuts de la carrière de Fleischer. Oeuvre déjà brillante et passionnante, quoique réalisée avec quatre sous. Son appartenance au courant du film noir prête à discussion. C’est que Fleischer, plus qu’à l’atmosphère de l’époque, à la violence et à l’action extérieure, s’intéresse ici presque exclusivement à la psychopathologie du tueur, domaine qui va hanter une grande partie de son oeuvre. Il met aussi l’accent sur les rapports obsessionnels qui se nouent entre le policier et sa proie. Les habitudes du tueur, à la fois précises et impénétrables, sont minutieusement décrites par Fleischer à travers l’obstination du policier à les assimiler. Cette minutie dans la relation de comportements échappant à la raison ouvre sur le fantastique, c’est-à-dire sur l’insolite et l’improbable, mais gorgés d’une forte dose de réalisme et de cruauté : ainsi la scène étonnante où le tueur, ayant pris la place du mannequin dans un fauteuil du bureau du policier, l’écoute monologuer dans l’ombre.


(Dictionnaire du cinéma : Les films, p. 78. Paris : Laffont, 1992)


L’ÉNIGME DU CHICAGO EXPRESS
par Jacques Lourcelles



Laconisme, efficacité, tension, malaise, action incessante et sans temps mort : The Narrow Margin amène toutes ces notions á leur limite extrême de virtuosité, notamment à cause de l’exiguïté du décor du train où se déroulent les trois quarts de l’action, et constitue ainsi une sorte de précis de mise en scène hollywoodienne, telle qu’on la pratiquait à son plus haut niveau dans le film noir et la série B. L’étonnante perfection formelle du film marque la fin du long apprentissage (une dizaine de films en cinq ans) subi par ce surdoué de la mise en scène qu’était déjà à cette époque Richard Fleischer. The Narrow Margin est en effet son dernier film pour la RKO (où il fit l’essentiel de ses films de début) et son avant-dernier film en noir et blanc en format normal (avant la délicieuse comédie réalisée pour Stanley Kramer The Happy Time). Si brillant qu’il soit, le film est loin d’être un pur exercice de style. C’est aussi un film d’auteur à part entière, ne serait-ce que par cette absence volontaire d’humour et d’ambiguïté morale chez le héros, par laquelle Fleischer affirme ses choix et le ton de gravité qu’il entend donner à son récit. D’autre part, The Narrow Margin prèsente avec des oeuvres très postérieures de l’auteur, tel The New Centurions (1972), d’étranges ressemblances. Dans les deux films, c’est le même aspect tragique, absurde, improbable et presque suicidaire de la condition policière qui est designé. Ce qui a lieu dans The Narrow Margin avant et pendant le voyage en train ressemble en effet à une assez terrifiante tragi-comédie des erreurs. Gus Forbes, le partenaire du héros, mourra pour rien, de même que la femme flic (Marie Windsor) qui aura donné sa vie pour tester l’honnêteté de son collègue. Quant à la véritable Mrs. Neil, elle n’aurait eu besoin de personne pour arriver saine et sauve à Los Angeles et c’est sa rencontre (fortuite) avec le policier qui mettra ses jours en danger ! Face à cette impossibilité réelle d’agir, le policier interprété par Charles McGraw essaie de survivre et d’accomplir son boulot avec cette obstination taciturne et désabusée qu’on verra souvent aux héros de Fleischer et notamment a ceux joués par George C. Scott dans The New Centurions et dans The Last Run. En ce qui concerne The Narrow Margin, sa noirceur n’est pas seulement la caractéristique conventionnelle ou structurale d’un genre mais l’indice certain, quoique traité en mineur et avec une très grande modestie esthétique, d’une grave crise morale qui gangrènera de plus en plus la civilisation urbaine américaine et dont les films de Fleischer, entre autres, sont le troublant miroir. Comme dans beucoup de films de Fleischer, ce précis de mise en scène est aussi et surtout un précis de décomposition.


N.B. Impressionné par le film, Howard Hughes, alors patron de la RKO, voulut le faire refaire à Fleischer avec un budget beaucoup plus gros et Robert Mitchum et Jane Russell en vedette. Cela n’intéressait pas du tout Fleischer qui dut cependant, à cause de cela, subir un long retard dans la sortie du film. Réalisé en 13 jours en 1950, le film ne sortit qu’au printemps 1952 et obtint un immense succès.


(Dictionnaire du cinéma : Les films, pp. 477-478. Paris : Laffont, 1992)

 

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